A lire les axes du « Forum Réalités » https://realites.com.tn/fr/forum-2024/ qui tient cette année sa 26ème édition, je repense à une conférence internationale qui s’est tenue à Hammamet, il y’ a bien de cela 20 ou 25 ans. A l’époque, la destination cherchait à suivre les tendances en Méditerranée, à diversifier ses produits et à casser sa saisonnalité. Toujours à la recherche désespérée et désespérante du tourisme, au delà du balnéaire, pour diversifier les destinations, leurs activités et développer les territoires, la Tunisie du tourisme se débat encore dans ses mêmes défis. Elle n’assume ni l’un ni et ne parvient à s’engager en faveur de l’autre. Par Amel Djait
Les intervenant et participants au forum, triés sur le volet, paraissaient fatigués. Ils sont ronges non pas par les doutes de ce qu’ils critiquaient, proposaient ou réclamaient. Ils ragent contre l’inexploitation de nombreuses pistes de développements de la destination touristique tunisienne. En fait, ils sont désabusés par une situation qui change si peu ou presque pas!
Les slides de la présentation de Mme Mouna Ghliss, Directrice des relations internationales au ministère du Tourisme mettant en avant les KPI et les résultats du programme de coopération « Tounes Wejhetouna » ne réussissent pas à sortir un sourire aux présents. Le programme de coopération internationale parait éclaté, désarticulé, touchant à tout et n’aboutissant à pas grand chose!
Doté d’un budget de 51 millions d’euros, dont 45 proviennent de l’Union Européenne et jamais un volume financier n’a été autant déployé en faveur du secteur, le résultat semble approximatif : des routes thématiques, des livres de cuisine, des sites web épars, des créations de micro entreprises à la pelle sans garanties de pérennité. Selon Mme Ghliss, la Tunisie est désormais un modèle d’expérience en tourisme culinaire auprès de l’ONU. Une vidéo promotionnelle en faveur de ce produit été primée! SOIT !
S’il est vrai que petit à petit l’oiseau fait son nid, faut-il préciser que le lit est « législatif » pour le tourisme alternatif. Celui-ci s’étrangle tous les jours un peu plus au lieu de soutenir l’emploi et le développement des régions. Une étude récente révèle que le retard accumulé de la Tunisie en termes d’entraves juridiques au développement du tourisme alternatif ( et non de l’hôtellerie )https://www.destinationtunisie.info/federations-professionnelles-tourisme-alternatif-tunisie/ est énorme. Celles-ci dépassent les 40 obstacles pour lesquels plus de 330 recommandations de mesures ont été présentés et rien ne change! La révolution annoncée comme un pilier du programme d’amorce de transformation du tourisme tunisien n’a pas lieu.
D’un côté, on s’active à promouvoir une filière de l’alternatif bourrée de défis et on laisse de côté des chaines de valeur dans le tourisme qui sont nettement plus porteuses. Certains choix sont win-win pour une Europe vieillissante, une méditerranée du sud affrontant de nombreux défis comme le changement climatique ou le chômage, remarque Mme Mouna Ben Halima. Hôtelière de la région de Hammamet, son intervention retient l’attention durant le forum.
Un tourisme alternatif en agonie
Il est vrai que « l’adaptation du cadre réglementaire, en simplifiant les procédures administratives et créer un environnement favorable aux investissements, était un des objectifs principaux du programme » Tounes Wejhetouna », validé et souhaité par le ministère de tutelle, du moins en principe. Active dans la société civile, Mme Ben Halima précise en pointant du doigt l’Union Européenne autant que le Ministère du Tourisme : » Vous avez contribué à nourrir un leurre. Vous avez donné de faux espoirs à des acteurs qui se sont endettés pour créer leurs entreprises et vous les avez soutenus. D’un autre côté, on ferme par centaines les entreprises d’opérateurs fragiles et menacés de faillites et de poursuites ».
Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que le programme « Tounes Wejhetouna » avec le ministère du tourisme a financé et formé, soutenu et promu d’une main des acteurs que l’administration sanctionne de l’autre! Soutenir l’informel est-il la priorité pour un secteur du tourisme en mal de solutions et de financements?
En choisissant de soutenir une grande partie d’activités et d’acteurs dans l’informel, l’idée était sans doute de pousser vers la révolution juridique et la transition de milliers d’entreprises vers le formel. Aujourd’hui, l’échec est là. Du moins à ce niveau. A moins d’un revirement de situation spectaculaire, le bilan est lourd en gâchis pour les bénéficiaires du programme, pour les territoires et pour le tourisme. Le pays, fort heureusement regorge de milliers d’entrepreneurs dans différents autres secteurs qui croient que le changement finit par s’opérer par l’acharnement et le travail.
La révolution juridique touristique comme un mirage
Finalement, et si le tourisme alternatif était la tendance de la méditerranée, il y a 20 ans? Nombreux sont les pays qui s y sont réussis comme l’Italie, l’Espagne ou encore le Maroc. Pourquoi quand on évoque le tourisme en Tunisie, on oublie que le temps ne se rattrape jamais? La destination accuse un retard cuisant sur la digitalisation, l’open sky, les zones intégrées touristiques, etc. Et si les questions du retard à rattraper dans l’alternatif peuvent être encore justifiées, celles liées au tourisme durable dans son sens le plus large sont urgentes à poser et actionner. C’est aujourd’hui et maintenant qu’il faut penser à 2040 ou 2050, car même pour 2030, il semble qu’il soit déjà trop tard!
De l’urgence de la Transformation de la destination Tunisie
Tom Ashwanden est Chef de la Coopération de la délégation Européenne en Tunisie. Il précise que les demandes et besoins émanant de la partie tunisienne se doivent d’être les plus précises pour obtenir des résultats louables. Chuchotant dans un de ses commentaires, sans trop y croire, la possibilité d’un « Tounes Wejhetouna2 », (mentionné 1 seule fois et en aucun cas réclamé ni par la profession ni par l’administration), il en appelle à une révolution règlementaire.
Pourtant, quand un changement s’amorce, les résultats sont réjouissants. En témoigne la transformation avec l’ONUDI de certaines filières de l’artisanat, la naissance de clusters et des chiffres réalisés à l’export. Le projet visait notamment à la création de 8 chaînes de valeur et la création de 4 à 6 centres de soutien multi services (Hub Design). Le programme Creative Tunisia https://creativetunisia.tn/ est un des axes de « Tounes Wejehetouna » avec un budget de 9 millions d’euros sur la période 2020-2025
Du programme « Tounes Wejhetouna », il y a un absent qu’évoque, non sans un ironique regret, l’ancien ministre du Tourisme Mr Slim Tlatli, à savoir la composante culturelle avec la transformation tant attendue de Carthage. Celle-ci est un silence radio dévoilant un échec retentissant! Le bilan serait aujourd’hui celui d’un musée fermé, de réunions stériles, de budgets dépensés ou pas pour une piste de randonnée pédestre réalisée autour et dans le site de Carthage! Sans commentaires! Cela est l’affaire du ministère de la culture. Allons donc, pas celui du tourisme! Chuchoter quid de la route de l’UNESCO indispose celui qui pose la question et moi même qui l’écrit !
Le maigre bilan d’une piste de randonnée pédestre pour Carthage!
Par delà ce forum, le secteur privé est l’autre absent-présent dans sa prise de parole, demandes et revendications. Il faut admettre que batailler pour les mêmes choses depuis plus de 20 ans épuise. Tous les intervenants des fédérations au « Forum Realites » réclament une révolution règlementaire qui ne vient pas.
Ecouter Anas Snene, Directeur Tui Tunisie, évoquer la légalisation des hébergements alternatifs en vue de permettre à des clients de Tour Opérating en besoins d’immersions agricoles et d’expériences chez l’habitant fait sourire. Cela révèle combien nous demeurons limité à répondre aux demandes et attentes d’un tourisme qui change vite. Trop vite pour notre cadence.
Dans la salle, les demandes pour l’Open sky, la limitation du all inclusive et réinterpréter les 35% du parc hôtelier qui sont laissés à l’abandon pour des raisons financières, juridiques ou administratives et par les répercussions des années du terrorisme ou du covid19 rattrapent les plus ambitieux.
Il ne fait aucun doute que pour que le secteur du tourisme aille mieux, il est vital que le dialogue entre le secteur privé et le public soit plus sain, constructif et objectif. Les organisations patronales spécifiques au tourisme ont du mal à faire un saut générationnel et qualitatif pour davantage d’autonomie et d’impacts. Dans les couloirs, ils estiment que l’Etat ne lâche rien! Pour mobiliser les adhérents et mutualiser les efforts, il faut pouvoir faire miroiter les résultats atteints de propositions diverses avancées il y a 5, 10 ou 20 ans.
Et ce n’est pas la pléthore des ministres du tourisme qui changent et des cadres d’un Office National du Tourisme Tunisien ( ONTT) vieillissant, amputé de ressources financières et humaines qui va pouvoir y changer quelque chose! Ce n’est pas non plus la multiplication des Destinations Management Compagnies (DMO) qui vont parvenir à changer quelque chose. Vider les structures classiques en les remplaçant par d’autres modèles de gouvernance est une démarche saine quand on se pose les questions de la pérennité de ces organisations en amont et non en aval.
Gouvernance et pérennité des entreprises
Au terme d’une journée fort enrichissante de rencontres, échanges et réflexions au cours du 29 eme « Forum de Réalités », je repars en me demandant si le 1er forum n’avait pas déjà évoqué ces mêmes axes! Je cherche Mr Taieb Zahar pour lui poser la question. Micro à la main, il évoque le all Inclusive, la saisonnalité et recommande de ne plus se contenter du tourisme balnéaire, qui devrait être soutenu également, mais déclare: « il faut trouver de nouvelles niches à explorer telles que les gites ruraux, les maisons d’hôtes, le tourisme culinaire, etc.«.
Je souris.
Rassurons nous, le ministère du tourisme a annoncé en ouverture du Forum qu’un cahier des charges pour les maisons d’hôtes en est « au stade des dernières retouches ». Une étude d’impact de l’ensemble des projets réalisés dans le cadre de « Tounes Wejehtouna » est prévue dans 2 ans. Les bénéficiaires du programme auront le temps de couler ou de s’épanouir.
En attendant il est impératif de s’occuper de la propreté, de la e-reputation des destinations, de l’open sky, des prix planchers, de la qualité…Il est vital de s’engager dans le tourisme durable et garder les yeux grands ouverts sur les tendances en Méditerranée et dans le monde, pour préparer la destination touristique tunisienne pour 2035, 2040, ….
Tiens, j’ai déjà entendu cela quelque part!