des manifestants portent des pancartes anti-qataries devant le siège du Bardo? L’actuelle polémique autour de la nomination des consultants de la chaîne Al Jazzera n’est pas près de tomber. Avant hier encore, Hamadi Jebali, Premier ministre, lors de son entretien télévisé revenait sur ce pays qui nous veut du bien. L’avant-veille, c’était à son ministre de l’Agriculture de faire de même. Les pourparlers avec le Qatar iraient tellement bien que les chèques en seraient presque signés.
Il est aussi inutile d’aller chercher plus loin dans le temps ou plus haut dans la hiérarchie nahdhaoui puisque Rached Ghannouchi a sauté dans un avion au lendemain du 23 octobre pas seulement pour embrasser le front de Youssef El Karadahoui à Doha ou pour saluer un autre de ses amis, Abassi Madani qui vit sous la coupe de son Altesse le cheikh Hamad Bin Khalifa Al-Thani, 59 ans, septième émir du Qatar. Un cheikh qui ne lésine pas sur les moyens pour donner le meilleur à son pays. Un émirat riche qui veut porter la voix des démocraties naissantes après les révolutions arabes mais qui empêche le mouvement sur son propre territoire. Un Etat riche autant que généreux et ambitieux autant que de plus en plus présomptueux.
Pour en revenir à Rached Ghannouchi, et selon la Lettre du sud (*), si la première sortie du cheikh, en dehors de son pays, a été le Qatar, c’est qu’il «a voulu montrer sa reconnaissance envers les dirigeants de ce pays. Ces derniers l’ont soutenu aussi bien au niveau « logistique que financier », par le passé, et lors de la dernière campagne électorale… Le plus important était, semble-t-il, d’avoir la « baraka » de Karadhaoui, principal leader de l’Organisation internationale des Frères musulmans et gourou de l’émir qatari et de son épouse. Le Cheikh serait en effet très écouté par les hautes sphères à Doha et serait, lit-on, «le mieux placé pour aider Ghannouchi et le nouveau gouvernement tunisien». L’influent prédicateur, suivi par près de 50 millions de musulmans lors de ses émission télévisées sur Al Jazeera, aurait alors intervenu auprès de l’homme fort de l’émirat, Premier ministre, ministre des Affaires étrangères et aussi… «ce qui est le plus important, président du QIA (Qatar Investment Authority), le fonds souverain du Qatar; ce afin d’investir en Tunisie, notamment dans les domaines des hydrocarbures, de l’agriculture et dans le secteur bancaire».
Il faut dire que de pareilles sollicitations viennent à poing nommé pour un pays sorti de l’anonymat depuis une décennie et feront quelques beaux jours d’un pays qui souffre de crise économique et de nombreux malaises sociaux graves comme la Tunisie. N’est-il pas bien commode d’avoir des amis qui ont beaucoup d’argent quand on arrive au pouvoir? N’est-il pas bien commode de recevoir des demandes d’aides quand cela vient soutenir une vraie politique de rayonnement que le Qatar intensifie? Cela ne vaut-il pas quelques «avantages» ou «compromis» comme ceux qui horripilent les Tunisiens en ce moment et qu’ils qualifient d’ingérence?
Alors que cette vague de protestations tunisiennes ne semble pas près d’en finir, le Qatar travaille à sa notoriété et cultive son énergie. Il s’offre coup sur coup des terres en Ukraine, investit 500 millions dans l’agriculture en Turquie, rachète des équipes de foot en Europe, investit des banques en Grèce, s’offre le Mondial de football en 2022, les Mondiaux d’athlétisme en 2017, le Mondial de handball en 2015…
En attendant d’investir en Tunisie, autant dire que rien ne résiste à l’argent du Qatar. Un poids économique et politique qui prend de la vigueur et qu’il doit à ses richesses dont le gaz naturel. Troisième producteur au monde, cela lui rapporte près de 2 milliards de dollars de revenus annuels. L’émirat se retrouve ainsi à la tête du plus grand fonds souverain de la planète, QIA (Qatar Investment Authority), dont les avoirs des différentes entités approchent les 700 milliards de dollars. Des fonds vers lesquels «louchent» de nombreux pays et que le Qatar «monnaye» pour davantage de poids dans le monde.
Par ce moyen, par une diplomatie d’influence de plus en plus assurée et par A Jazeera, c’est aussi le Cheikh qatari qui est en train de devenir une des personnes les plus influentes de la terre. Il se hisse au sixième rang des “500 musulmans les plus influents du monde”, derrière les rois d’Arabie Saoudite, du Maroc, de Jordanie, du Premier ministre turc et l’ayatollah iranien Ali Khamenei. Avant le début des révolutions arabes, Al-Thani, qui se dit adepte du «salafisme modéré», n’était que 21e. Gageons qu’il cartonnera en 2012 autant que son épouse la Cheikha Mozah qui figure à la 38e place de ce hit parade conçu par l’Institut royal stratégique d’études islamiques de Jordanie, l’un des plus sérieux think tanks du monde arabe.
Le coran et le sport
En attendant, ce sont des millions de musulmans et d’Arabes qui continuent d’écouter religieusement des infos venant d’un pays pointé «d’intégrisme tranquille» ou de «wahabisme light» et véhiculant l’image d’un pays auquel tout réussit. Un pays qui, pour le commun des mortels, est en train de s’imposer face à des voisins qui, jusque-là, ne lui donnaient pas cas. Le Qatar serait même en train de façonner quelques parties du monde en rachetant la dette de certains pays en difficulté, mais pas seulement!
En investissant dans les révolutions arabes comme en Tunisie ou en Egypte, le Qatar confirme qu’il a les yeux et le ventre de plus en plus gros. Son hégémonie sur le Maghreb se confirme et peu se soucient des relations de cet émirat, dont le territoire abrite des bases militaires américaines avec les Etats-Unis, sont tellement étroites que le Qatar apparaît comme un appendice de Washington. Difficile d’imaginer que ce pays, qui compte 1,5 million d’habitants dont 200.000 seulement sont des citoyens qataris et qui affiche un PIB de 90.100 dollars par habitant, serait en train de devenir ce «monstre» diplomatique, religieux et médiatique sans l’aide des USA.
Pour le moment, et pour reprendre les mots de Hamadi Jebali, la Tunisie est un laboratoire à ciel ouvert où un nouveau modèle est en train de se dessiner afin d’être exporté au reste des pays arabes et musulmans du monde. Un modèle qui, selon certaines thèses, est justement pensé par les Etats-Unis d’Amérique et orchestré par le Qatar afin d’éradiquer le terrorisme, refaire marcher la croissance et contrecarrer les dessins de nouvelles puissances qui fragilisent l’ordre établi. Sans tomber dans les théories du complot et en attendant que le reste des pièces du puzzle se mettent en place, les observateurs essayent de comprendre ce que cache «l’interventionnisme politique Qatari». Un pays qui se déploie sur tous les fronts, quitte à provoquer l’agacement de certains pays, investir politiquement et économiquement leur sphère d’influence.
Le Qatar ne perd ni son temps ni ses intérêts économiques. Il vient de rafler en Algérie les deux seules mines d’or sahariennes et a proposé de multiplier les volumes de la compagnie aérienne Qatar Airways sur la région à partir de ce pays. «Al Jazeera Sport» a obtenu, sous le nez de Canal +, les droits de 133 matches de la Ligue des champions entre 2012 et 2015, en versant 61 millions d’euros par an.
Au risque de ne pas encore maîtriser la scène politique internationale, le Qatar maîtrise déjà une partie du sport, de la religion et des images. Le Qatar a bien compris qu’il ne peut réussir à imposer ses vues qu’en assumant un rôle géostratégique important qui s’appuie sur des alliés solides. Au prix de multiples contorsions, après avoir séduit les Américains en offrant la plus grande base aérienne hors des Etats-Unis, il se tourne vers Israël «avec qui il noue, cas unique dans le Golfe, un début de lien diplomatique. Les islamistes, enfin, des plus modérés aux plus radicaux, qu’il finance et accueille dans ses palaces. Tous les tenants d’un islam politique, du leader du Hamas, Khaled Mechaal, au chef du parti tunisien Ennahdha, Rached Ghannouchi, ont été un jour ses invités».
En attendant la confirmation d’une invitation du Qatar à célébrer le premier anniversaire de la révolution par le gouvernement au pouvoir, de nouvelles contestations reviennent en boucle et font gonfler une forme d’anti « Qatarsime » qui s’installe » en Tunisie.
Amel Djait
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