Certains nous diront que l’un est maintenant membre du gouvernement et parle en tant que tel alors que le second est Chef de parti et ne parle qu’au nom de ce parti. Le hic est que lorsque les positions du gouvernement se calquent sur celles prônées par le Chef de parti et non par le membre du gouvernement, nous sommes obligés de conclure qu’en Tunisie, la pratique de l’Etat parti est toujours en place, seul le nom d’Ennahdha s’est superposé au nom de RCD.
Tunisie – pays arabes : des relations cordiales
Le 26 décembre, l’équipe du Journal « Errai » a rencontré M. Rafik Abdessalem, le tout fraîchement nommé Ministre tunisien des Affaires étrangères. Dans cette interview,
M. Abdessalemen soutient mordicus (il l’a répété plus de trois fois) que le gouvernement tunisien n’interviendrait pas dans les affaires intérieures d’un autre pays arabe comme il n’aimerait pas que l’on intervienne dans les affaires tunisiennes.
Concernant les rapports de la Tunisie avec les pays en crise tels l’Egypte ou la Syrie,
M. Abdessalem précise que le gouvernement ne poursuivra de relations qu’avec les régimes en place et qu’il respectera la souveraineté de toutes les nations.
Concernant le CNS et l’accueil qui lui a été fait par le gouvernement tunisien, la réponse de M. Ben Abdessalem est restée assez vague, mettant cet accueil sur le compte du soutien apporté par certaines forces politiques en collaboration avec la société civile. L’ouverture du congrès du CNS s’est pourtant faite en présence de M. Moncef Marzouki, Président de la République, lui octroyant ainsi le caractère de reconnaissance officielle de la part du gouvernement tunisien. Mais dans le cas précis, M. Ben Abdessalem jouit du bénéfice du doute puisqu’il n’était pas encore Ministre des Affaires étrangères. On attend maintenant de voir si ses actions correspondront bien à ses déclarations.
Rached Ghannouchi et le droit d’ingérence
Deux jours plus tard, le 28 décembre, le même journal a rencontré M. Rached Ghannouchi. En titre de l’article, on lit « M. Ghannouchi déclare que le régime syrien est d’un autre temps et il doit disparaître ». Et M. Ghannouchi d’accuser le régime de faire montre d’une barbarie, qui ne peut laisser personne indifférent, dans sa répression contre un peuple désarmé qui ne fait que réclamer son droit à la liberté. Il va plus loin en précisant qu’il « est tout à fait normal que le gouvernement formé après la révolution tunisienne apporte son soutien aux représentants de la révolution syrienne ». Ainsi fut fait ! Le CNS a non seulement été reçu, mais l’ouverture de son congrès a été placée sous le haut patronage du Président de la République, en présence de plusieurs membres du parti Ennahdha et de certains représentants des chancelleries arabes accréditées à Tunis. Plus encore, les membres du CNS n’ont même pas été rappelés à l’ordre par le gouvernement, quand l’un d’entre eux, au mépris de la bienséance et du respect des citoyens du pays hôte, a osé brandir sa chaussure à la face de manifestants tunisiens venus exprimer leur désaccord avec leur présence sur le sol tunisien.
L’hostilité de M. Ghannouchi envers le régime syrien n’est plus un secret. Dès son retour de Qatar, où il s’était rendu le lendemain des élections pour remercier ses bienfaiteurs, il avait annoncé haut et fort qu’il allait procéder à la fermeture de l’ambassade de Syrie en Tunisie et au renvoi de l’ambassadeur. A l’époque, M. Sémir Dilou, porte-parole du parti, avait rectifié le tir en précisant que les déclarations de M. Ghannouchi n’engageaient que lui. Selon une radio locale, ce dernier serait revenu à la charge dès le début décembre, en promettant au CNS de renvoyer l’ambassadeur syrien si celui – ci ne se désengageait pas de son gouvernement. Curieuse promesse que celle faite par M. Ghannouchi à l’heure où les Etats-Unis et la France ont fait revenir leur ambassadeur respectif à Damas.
Appui réel aux désirs des peuples assoiffés de liberté ou soumission aux diktats de bailleurs de fonds de campagne électorale et soutien à l’ascension au pouvoir ? Jusque là l’ambassade syrienne est toujours ouverte, et ce n’est point faute de pressions du Qatar par l’intermédiaire du Cheikh Kardhaoui pour toujours plus d’actions contre la Syrie.
Mais quelle opposition soutient donc M. Ghannouchi ?
Les quatre oppositions syriennes
Il faut savoir qu’en Syrie, les forces opposées au pouvoir sont divisées en quatre formations.
La première formation est intérieure et ne réclame que plus de liberté d’expression et de circulation et une meilleure répartition des richesses.
La seconde est elle aussi intérieure et ne demande pas non plus le départ du président. Aux revendications de la première, elle ajoute la disparition du concept parti-état représenté par le Baath (formule reprise en Tunisie par le parti gagnant si l’on s’en tient aux agissements de M. Ghannouchi).
La troisième formation, toujours de l’intérieur, si elle non plus n’exige pas le départ du président Al Assad, demande le droit de participer à la conduite du pays.
Reste la quatrième et la dernière qui, sous la bannière du Conseil National syrien, vit à l’étranger et est prise en charge par les pays du Golfe, particulièrement le Qatar et l’Arabie Saoudite, la Turquie et les autres pays membres de l’Otan. Le CNS est composé d’opposants qui réclament à cor et à cris l’intervention de l’Otan.
Pourquoi le choix de M. Ghannouchi s’est-il porté sur la plus extrémiste des oppositions au pouvoir en place, celle dont 60% des membres appartiennent à la confrérie des Frères Musulmans, celle qui finance les groupuscules armées, celle qui refuse tout dialogue avec le gouvernement, celle qui ne présente aucun programme politique ou économique sérieux à part renverser le régime et établir des relations avec Israel, celle qui demande l’intervention militaire étrangère contre son propre peuple, et fait important et pas des moindes, celle dont les trois formations de l’opposition intérieure ne veulent pas entendre parler ?
D’un coté, un jeune premier qui ne veut pas intervenir dans les affaires intérieures des autres pays et qui veut travailler dans le strict respect de l’indépendance de chacun, de l’autre un vieux requin qui s’octroie un droit d’ingérence dans les problèmes d’un pays qui n’a jamais montré la moindre hostilité envers la Tunisie.
Sommes-nous face à une éventuelle bataille entre deux courants de pensées et d’actions diamétralement opposés ou plutôt à une subtile répartition des tâches dans la continuité d’une campagne électorale basée sur le double langage et les déclarations et contre-déclarations ?
D’un côté comme de l’autre, la teneur contradictoire de ces deux articles est une excellente lecture de l’amateurisme du gouvernement actuel et de son manque de vision géostratégique en ce qui concerne son environnement arabo-méditerranéen.
Fatma BENMOSBAH
http://www.alraimedia.com/Article.aspx?id=318443&date=28122011
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