Pour l’amour des oiseaux : épisode 1

Il fut un temps où El Haouaria se nommait Aquilaria, le Royaume des aigles. Par delà les siècles, sa côte sauvage et ses collines continuent à être l’escale incontournable des oiseaux migrateurs même si, comme partout dans le monde, ils se font moins nombreux. En mars, ce sont les éperviers venus d’Afrique centrale qui viennent s’y reposer avant de continuer leur voyage vers l’Europe. C’est donc ce mois-ci que nous avons rencontré  Ameur et Sami, deux frères pour qui la chasse à l’épervier fait autant partie de la vie que les plats de leur mère, comme elle a fait partie de celle de leur père et de leurs ancêtres.

Les filets fixes

Le terme chasse à l’épervier a deux sens : capturer un épervier et chasser à l’aide d’un épervier ! Ce fameux mois de mars est l’étape du premier sens, la chasse aux cailles par le rapace ne se fera que dans un mois. Nous partons vers le lot qu’a attribué à Ameur, Sami et onze autres personnes, l’Office des eaux et forêts. Le leur s’appelle  la Makta (la carrière). Sur la route qui serpente entre terre et mer, les deux frères nous expliquent : « Un permis de chasse coûte 18 dinars, qui sont répartis entre l’association des chasseurs et les eaux et forêts. Une partie sert aussi aux soins des oiseaux blessés ou malades. Un comité de parrainage doit attester que l’on est capable de garder un oiseau, de s’en occuper. Les eaux et forêts prêtent une parcelle de colline à chaque groupe de chasseurs. C’est un bon échange : on a un terrain de chasse et en contre-partie, on entretient la forêt. On la nettoie, on coupe le bois mort… »

L’odeur des pins d’Alep embaume la colline. C’est là qu’ils ont installé leurs filets fixes. Des jours et des jours de travail : acheter des filets de pèche, les teindre en brun, fabriquer des liens avec des brindilles, cacher les bords du filet avec des rubans de feuilles d’arbustes, tendre les filets entre les arbres, installer des perchoirs taillés dans des branches pour attirer l’oiseau qui aime l’ombre et se cache de ses prédateurs. Ici, le plastique n’a pas droit de cité. La marche dans la forêt est difficile pour des néophytes comme nous, incapables de repérer les dizaines de filets arachnéens qui bloquent les passages entre les arbres.

Un homme, un oiseau

Chaque jour, les chasseurs viennent avec espoir à la rencontre de leur futur épervier. « Il est interdit d’attraper autre chose qu’un épervier. Si un hiboux, un faucon ou une crécelle se prend dans le filet, il faut les relâcher. De même, la hauteur au sol du filet doit être assez importante pour ne pas  attraper des lièvres, des hérissons ou même des sangliers. Chaque chasseur a droit à un seul épervier.. » Aujourd’hui ne sera pas un jour de chance : les filets sont vides.

Nous redescendons dans la plaine où Ameur et Sami veulent nous faire rencontrer les guetteurs. Nous trouvons un groupe d’hommes couchés derrière un bosquet, le verre de thé à la main et les cendres encore fumantes d’un feu de bois devant eux. Ils se relaient pour observer le ciel et les collines, prêts à courir s’il voient un épervier piquer sur leur lot.

Pour l’instant, seul un jeune chanceux a trouvé son oiseau, qui nous fixe calmement de ses yeux ronds. « C’est une femelle, on ne garde que les femelles, plus grosses et résistantes que les mâles. Les chasseurs préfèrent les farakhs, les jeunes, qui sont plus faciles à dresser. On les reconnaît à la couleur claire de leur plumage et à leurs yeux jaunes, qui deviennent orangés puis rouges avec l’âge. Moi, je préfère les garnas, les plus vieux, parce qu’ils sont meilleurs chasseurs et qu’ils se fatiguent moins vite, même s’ils ont la tête dure !, nous dit Ameur. Je préfère aussi la technique la plus ancienne de chasse, celle aux filets mobiles. Venez, je vous emmène. »

Les filets mobiles

Nous voilà repartis sur les hauts de la garrigue. L’odeur du thym que nos pieds écrasent nous monte aux narines. Cette fois-ci, nous descendons côté mer. Des installations de pierres jalonnent la pente. Des ruines romaines ? Non, des caches en demi-lune. Sami nous fait une démonstration. Dès décembre, il faut attraper des petits oiseaux, des zraris, qui serviront de leurres. Quand l’épervier, dupé, s’abattra vers eux, le chasseur tirera d’une main sur une corde qui commandera le filet piège. Selon le sens du vent, il utilisera sa main droite ou gauche. Sami a beau nous montrer son geste, il est trop technique et demande trop d’expérience pour que nous soyons capables de l’intégrer.

Un compagnon voyageur

Arrive-t-il qu’un chasseur ne capture pas d’épervier ?« On aime les collines, on est patients. Cela arrive rarement. Au pire, un autre chasseur plus chanceux lui donnera un épervier. Je dis bien lui donnera, il est interdit de vendre. On ne gagne pas d’argent avec cette chasse, on en dépense ! » Il est obligatoire de déclarer chaque oiseau capturé, qui sera bagué et inscrit sur un fichier pour éviter toute dérive et pour contrôler la santé de l’animal. Et tout contrevenant recevrait une amende minimum de 500 dinars. Mais le problème ne se pose pas dans la réalité : Ameur, Sami et leurs confrères sont avant tout des amoureux de la région et des passionnés d’oiseaux, des chasseurs sans fusils qui cherchent et trouvent un compagnon  aussi altiers qu’eux.

Mireille Pena

Rendez-vous est pris fin avril avec Ameur et Sami pour le second épisode de l’aventure : la chasse aux cailles avec les éperviers.

Avant le grand rendez-vous du mois de juin : le Festival de l’épervier d’El Haouaria, festival confirmé officiellement .


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