L’opposition tunisienne : C’est maintenant ou jamais que l’avenir se prépare

Loin de moi  l’idée d’être pessimiste et encore moins de vous transmettre ce pessimisme, mais si on prend un peu de recul et qu’on analyse objectivement les faits, il y a lieu de constater que l’ambiance actuelle de notre  pays est loin de susciter le moindre espoir à court terme, surtout si l’opposition reste aussi muette qu’inactive.

Amateurisme politique, marquer son règne coûte que coûte, se positionner en vue des prochaines élections sous couvert d’une doctrine  idéologiquement religieuse, un sens aigu de la démagogie populiste sont les maîtres mots qui qualifient le mieux les actions des dirigeants provisoires actuels du pays. Un Président provisoire sans réels pouvoirs, un gouvernement pléthorique et sans réelle compétence, des dizaines de conseillers  de tout genre qui rendent l’organigramme de l’exécutif actuel digne de celui de l’armée mexicaine avec la compétence et les résultats en moins.

Alors que nous nous attendions à ce que ce gouvernement de transition mette les bouchées doubles pour asseoir les institutions républicaines qui répondent aux attentes du peuple et à placer la Tunisie dans l’orbite de la démocratie, de la liberté et du développement économique,  nous nous retrouvons avec un exécutif qui semble perdre le gouvernail d’une Tunisie en pleine tempête. De nombreux faits et événements  viennent malheureusement confirmer ce sentiment général des tunisiens :

•    Nous  assistons à une série de couacs et d’erreurs politiques sans précédent de la part du Président et des membres du gouvernement provisoire : décisions hâtive d’ouverture des frontières, une politique étrangère inexistante et clairement partisane, un voisin algérien qui appelle même à la retenue diplomatique, un amateurisme évident qui nuit à l’image de ce pays auprès de ses plus proches partenaires particulièrement européens .

•    Sur le plan économique la stratégie du gouvernement est loin d’être définie et des décisions hâtives enregistrées sur la dernière période  laissent croire à l’absence d’une feuille de route claire de ce qu’il faut faire pour résorber le chômage et relancer la machine économique du pays. La décision de faire fonctionner la planche à billets se traduira par la relance de l’inflation par injection massive de liquidités en monnaie de singe. L’absence, six mois après l’installation de ce gouvernement, d’un  programme agressif  de développement de l’infrastructure et de désenclavement des régions est un autre signe évident du manque d’ambition. Le collectif budgétaire présenté relève plus d’une démagogie du saupoudrage des ressources que d’une  réelle trajectoire de développement.

•    Multiplicité des déclarations intempestives et incohérentes entre elles de la part des membres de l’exécutif sans coordination interne et sans concertation menant à des contradictions flagrantes qui secouent le gouvernement et la présidence et jettent un flou au sein d’une population abasourdie. Des annonces, des contre annonces, des démentis, des démentis de démentis sont légions chaque fois qu’un représentant de l’exécutif se retrouve face aux médias avides de scoops et de sensations.

•    Plusieurs démissions enregistrées aux seins de l’exécutif et des dissidences nombreuses qui secouent le dispositif prouvent que l’entente au sein de la Troïka est loin d’être cordiale. Rien que sur les dernières semaines, deux conseillers du  président et un ministre ont remis leur portefeuille en claquant publiquement la porte. Une motion de censure a été à deux doigts  d’être présentée sans la pression « amicale » du président du parti Etakatoul et Président de l’Assemblé exercée sur deux de ses ouailles députées pour qu’elles retirent leur signature à la dernière minute.

•    La troïka  est disloquée et deux partis sur les 3 du gouvernement semblent se vider de l’intérieur et fondre comme neige au soleil.

•    Les problèmes sociaux sont loin d’être résolus les grèves, les sit-in, les revendications, les blocages, l’absence de dialogue social font loi dans le pays. Preuves d’une tenson sociale latente et d’une déception  et d’un désenchantement  profonds de la population qui a mis tant d’espoirs après les élections d’octobre  et qui se retrouve tout simplement trahie.

•    La justice n’a pas résolu ses problèmes et n’a pas encore fait sa révolution interne. Elle reste dépendante et soumise au pouvoir et à l’ancien régime. Elle  n’a toujours pas commencé à juger les corrompus ennemis du peuple. Une justice injuste est preuve que la page n’est pas encore définitivement tournée,  seuls les donneurs d’ordre changent mais les pratiques sont restées  identiques à celles de l’ancienne période.

•    Les libertés reculent au fur et à mesure que le pouvoir et ses partisans se sentent secoués. Plusieurs dérives sont enregistrées dans les postes de police. Une police des mœurs digne des pasdarans qui commence à pointer son nez ici et ailleurs. Des témoignages inquiétants d’une police qui utilise la religion pour toucher aux libertés individuelles en appliquant des instructions venues de leur hiérarchie. Même les plages ne sont plus fréquentées en ce temps estival par crainte de se retrouver pointé du doigt  et même agressé à cause de sa tenue ou de la forme de son maillot. Des artistes se retrouvent brimés, des intellectuels molestés et des doyens traînés injustement en justice.

•    L’indice de la corruption a augmenté de 14% par rapport à la période d’avant les élections selon les rapports des organismes d’observations internationaux. Ce mal qui a gangrené  la Tunisie durant le règne précédent continue de faire des ravages et se répand dans l’absence de contrôle et de justice efficaces. Eradiquer ce mal devrait constituer une des premières actions de l’exécutif tellement il coûte cher au pays. Selon les études, la corruption a coûté à la Tunisie plus de 3 points de croissance par an. Évaluée en  matière d’emploi, cette croissance perdue à cause de la corruption représente, rien que sur la dernière décennie, pas moins de 450 000 postes.

•    Concernant l’Assemblée Constituante, seule institution légitimement élue, il existe un  sentiment populaire qu’elle n’avance pas à la vitesse voulue pour rédiger la constitution qui est censée être sa mission principale. Ceci rajouté à la crainte de voir la future constitution refléter uniquement l’opinion d’un parti unique multiplie les questionnements  d’une grande partie de la population et amplifie ce sentiment d’inquiétude et de scepticisme.

•    La démission collective des membres du comité indépendant en charge de reformer les médias justifiée par le refus du gouvernement de ne pas appliquer ses recommandations, est également un signe de l’absence d’une volonté inébranlable pour faire de ce secteur un vrai contre pouvoir libre et indépendant. Plusieurs journalistes subissent des pressions, des violences et certains se voient même refuser l’entrée à leur lieu de travail dans les médias publics. Il n’y a pas de démocratie sans une presse libre et il n y a pas de presse libre sans démocratie, c’est dans ce cercle vicieux que nous nous retrouvons encore et ceci n’est pas un bon présage.

•    Aucune date ni processus électoral ne sont à ce jour connus pour permettre de terminer cette seconde phase transitoire post révolution. La création d’une instance indépendante pour préparer les prochaine échéances électorales (présidentielle, législative et  même municipale) traîne en longueur et rajoute du flou au flou ambiant. De même et à court terme, même l’organisation,  possible selon la petite constitution, d’un référendum populaire pour la constitution ne semble pas être envisagé.
Le diagnostic est formel, la majorité actuelle n’a ni la compétence,  ni les moyens et ni même la volonté de tirer la Tunisie vers l’idéal que la majorité des Tunisiens souhaitent.
Cette majorité a démontré son incapacité à gouverner et à satisfaire les attentes du peuple. Elle s’est retrouvée, démocratiquement, aux manettes par le fait de la combinaison de 3 facteurs essentiels qui lui ont profité et que l’opposition actuelle doit absolument veiller à considérer dans son approche de la période qui commence :

•    une inexpérience des partis de l’opposition dans la  pratique électorale démocratique aggravée par le manque de travail sur le terrain et le manque de présence auprès des électeurs.

•    un système de vote par liste qui favorise les partis organisés au dépend des partis sans assise, sans organisation et sans implantation territoriale

•    un trop grand nombre de listes et une dispersion des voix qui a été préjudiciable aux résultats finaux.
Il est des plus urgents maintenant pour les forces démocratiques et modernistes de tirer les leçons de l’échec, de faire son autocritique et de décréter  révolu le temps de l’opposition stérile sans programme et sans propositions concrètes. Il est grand temps maintenant de se positionner  et de préparer les prochaines élections avec ambition, force, rassemblement et optimisme. C’est là où résident ses chances et nulle part ailleurs.

J’appelle  l’opposition à oublier les ego et à s’organiser pour se positionner comme un parti ou une coalition électorale capable de gagner les prochaines élections. Il faut rassembler toutes les forces qui signent cette charte commune pour se retrouver autour d’un projet alternatif crédible et construit. Une plate-forme minimale  qui garantisse la réalisation des objectifs initiaux de la révolution : Démocratie, Liberté,  Droit de l’Homme, Modernité et  Développement Équitable doit être élaborée au plus vite.  Il ne sert à rien de multiplier les initiatives car trop d’initiatives tuent les initiatives et aggravent encore la dispersion fatale à l’avenir de notre pays et de son peuple.
Ma proposition concrète est que les dirigeants de Nidaa Tounes, du Joumhouri, du Kotb, des autres partis concernés ainsi que les indépendants démocrates se retrouvent lors d’ « Assises de l’Opposition Démocratique » qui seraient organisées par les associations citoyennes comme Doustourna et Kolna Tounes. Le but de ces assises est de convenir d’une plate-forme minimale, d’élaborer une charte commune avec les concessions mutuelles nécessaires et de partir unis ou coalisés pour mener la bataille démocratique qui nous attend.

Ce projet doit être porté par tous les partis et associations signataires jusqu’au fin fond de nos contrées, dans nos foyers, chez nos voisins, auprès de nos amis et de nos collègues, dans nos associations et dans nos cafés.

Seule cette force sera capable de gagner les élections, de regrouper les compétences et constituer un gouvernement resserré. C’est ainsi que nous aurons enfin un gouvernement qui sera en mesure  de sortir la Tunisie de  l’état végétatif dans lequel la troïka l’a mise.

Hichem Jouaber

Ingénieur de l’Ecole des Ponts & Chaussées, ancien Vice Président de Gemini Consulting en charge de la Stratégie Industrielle, actuellement Directeur des Systèmes de Production et de la Supply Chain d’un Groupe Industriel  mondial.

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