Les salafistes et la jeunesse: un péril sur la Tunisie.

Mehdi G. a 18 ans. Il confirme se faire régulièrement abordé par des hommes très décidés: «  Ils cherchent à m’intimider. Plusieurs de mes copains ont mordus à l’hameçon. Ils sont persuasifs, traquent aux heures des prières et font de la rue et des Publinet leurs terrains de chasse».
Meriem B. a 16 ans et demi. Elle dit s’être fait interpeller à plusieurs reprises  par ce qu’il est désormais convenu d’appeler des salafistes en qamis et arborant une longue barbe. Intimidants, ils m’ont lancé: « Ostor rouhek! ». Une demande effrayante que beaucoup de jeunes lycéennes en jeans, baskets et tabliers ne comprennent pas.

Faouzia Belhassine est la maman de deux garçons de 21 et 19 ans. Elle observe des transformations dans le comportement de ses fils qui se recroquevillent sur eux-même et ne parlent plus que de «Djihad». Désormais, leurs ambitions se résument à mourir pour dieu et se mettent à ressembler à ces Tunisiens qui vont mourir à l’étranger au point qu’ Ali Laârayedh a exprimé «son regret de voir certains jeunes Tunisiens s’aventurer de manière irresponsable vers le territoire syrien». Le ministre de l’Intérieur a démenti avoir des informations précises sur le nombre de ces individus en Syrie «en dépit des efforts déployés».  Le dernier jeune tunisien en date à s’être tué au cours de la semaine dernière avait 23 ans. A ce jour, «20 des 26 combattants qui ont été capturés et ont avoué leur sympathie pour Al-Qaïda sont Tunisiens», rapporte l’ambassadeur syrien auprès des Nations Unies, Bachar Jaâfari.

Face à cela, quelle est la riposte? Quel est l’avenir d’un pays quand on laisse sa jeunesse se faire endoctriner? Qu’attendent l’Etat et le Gouvernement pour mettre en place des politiques de lutte contre ces fléaux ? Le djihadisme est-il en train de prendre en otage une partie de la Tunisie?

Au lieu d’apprendre aux jeunes à réfléchir et à se forger leurs propres visions du monde tout en s’ouvrant sur l’autre, les extrémistes les dirigent vers le fanatisme et la culture de la haine et du rejet. Les jeunes Tunisiens endoctrinés font peur.

Même l ’Arabie-Saoudite s’est montrée sévère cette année dans l’attribution des visas  pour les jeunes désireux d’accomplir la «Omra». Les moins de 35 ans ont été particulièrement visés par des mesures restrictives. La pétromonarchie wahhabite craint-elle ce qu’elle serait en train de financer? Pourquoi pénalise-t-elle nos jeunes ressortissants? Craint-elle qu’après l’accomplissement des rites religieux, ils y restent pour travailler ou se lancer dans le djihad ?

Du côté du ministère tunisien des Affaires religieuses, Ahmed Bargaoui, chargé de la réforme du dossier du  «Haj» et de la «Omra», a affirmé : «Pour les autorités saoudiennes, parmi ceux-là (les moins de 35 ans) certains seraient ainsi susceptibles de se rendre en Palestine ou en Afghanistan. Il a précisé que «la Tunisie est en paix, et que son ministère n’a en aucun cas entériné des appels au djihad». Le responsable a appelé «les Tunisiens qui comptent se rendre en Arabie-Saoudite pour le «djihad» à assumer leurs responsabilités, puisque les autorités sont déterminées à lutter contre le terrorisme». Reste un détail. Plusieurs mosquées qui échappent aux mains de l’état font des appels au «Djihad» et prêchent activement pour l’envoi de nos jeunes à la mort. Selon des estimations officielles, quelque 400 mosquées sont tombées sous la coupe de radicaux depuis la révolution en Tunisie qui compte environ 5.000 lieux de culte.

Pour le moment, plusieurs cris s’étouffent et peu s’élèvent. Les familles ne comprennent pas. Après avoir vu leurs enfants mourir dans la mer à cause de l’immigration clandestine, ils commencent à les voir sombrer dans des eaux toutes aussi profondes. Faute d’horizons, une partie de la jeunesse tunisienne est prise à la gorge. Plus d’un an et demi après la révolution, ils ont le sentiment que rien ne change et qu’ils restent les oubliés d’une  révolution qu’ils ont faite.

Dans l’attente, il y en a qui ne reconnaissent plus leur pays et observent la spirale de violences vers laquelle certains veulent l’emmener. A l’heure où les  « salafistes et djihadistes » haussent le ton,  Omar Laabiadh, avocat et membre de plusieurs associations dans la société civile, résume la menace qui pèse en ces termes :  L’ accrochage d’Errouhia et de Bir Ali Ben Khelifa avec les salafistes djihadistes, l’affaire du «Niquab» et l’occupation de la faculté de Manouba, la multiplication des visites de prêcheurs obscurantistes, la main-mise sur les mosquées , l’émirat de Sejnane, l’agression des journalistes et des artistes, la profanation du drapeau national, l’escalade de l’horloge de l’avenue Habib Bourguiba, l’envahissement de l’aéroport de Tunis Carthag , l’attaque des points de vente d’alcool au Kef et dernièrement à Sidi Bouzid, les appels aux meurtres des juifs et de BCE, les lourdes condamnations de jeunes pour crimes de blasphème etc. ne sont que la partie visible de l’iceberg.»

Il rajoute : « On ne mesure pas l’ampleur du glissement du pays vers le «wahabisme» et on ne perçoit que vaguement le caractère pernicieux et sournois de la stratégie du parti au pouvoir qui tend à minimiser les faits, attaquer les médias coupables d’amplifier et d’instrumentaliser les faits, pratique le double langage et les diversions, la politique du fait accompli, le discours d’auto victimisation, etc. Mais où est passé l’opposition? ». Où est l’Etat ?, serions-nous tentés de rajouter.

Reste à signaler que face à ces dangers la société civile réagit difficilement mais résiste. les Tunisiens continuent de mener leur vie paisiblement. Leurs préoccupations sont d’ordre économiques et les fins de mois difficiles.Pendant ce temps, les partis salafistes  s’intéressent aux écoles et lycées et fournissent entre autres des livres aux adolescents et assurent un déploiement sur le terrain. Ils sont aussi présents sur internet. Un univers dont les jeunes sont les plus grands utilisateurs.

Amel Djait

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