Ces deux mouvements impulsés par la société civile ont convergés vers 14h30. Ils révèlent les inquiétudes des femmes et d’une certaine partie de la société tunisienne au lendemain des élections de la constituante.
Le 1er rassemblement lancé sur Facebook et très controversé depuis hier soir avait pour objectif « d’inscrire les droits [des femmes] dans la Constitution». Un comité a d’ailleurs rencontré à 13h30 le 1er ministre Béji Caïd Essebsi qui a rassuré sur la nécessité effective d’inscrire les acquis du Code du statut personnel dans la Constitution.
Sur place, différentes manifestantes expliquent que ce rassemblement apolitique et spontané est à l’initiative de 3 amies qui devant le décalage entre le discours politique rassurant et la réalité des intimidations et des agressions commises contre les femmes ont décidé d’être à l’initiative d’un rassemblement en activant leur réseau de relations. Une réunion privée en petit comité a eu lieu samedi dernier et hier soir une réunion publique au centre culturel d’El Menzah afin d’informer sur ce rassemblement.
Suite à cette réunion, le réseau social FB s’est enflammé.L’initiative n’est pas transparente et rappelle des pratiques « benaliennes » : texte de préservation des acquis de la femme à ratifier vague donc prêtant à toutes les interprétations, impossibilité de débattre avec les organisatrices pour repenser ce texte, organisatrices ne répondant pas aux questions sur leur identité, le mode de financement du rassemblement, hommes interdits de séance ( !!), etc.
Bref, un appel au boycotte a été lancé sur Facebook. « C’est parce que des institutrices se font agressées parce qu’elles ne portent pas le voile ou que des étudiantes subissent des pressions et des intimidations que je suis là aujourd’hui », m’interpelle de façon véhémente une femme d’une quarantaine d’années, elle-même voilée. « Nous ne sommes que des amies et souhaitons que ce mouvement soit un mouvement spontané et civil. Nous ne souhaitions pas associer les hommes pour cette 1ère fois car nous ne voulions pas que l’on pense que la femme est instrumentalisée ou ne peut agir seul. Il était important pour nous que la femme prenne son destin en main », répond aujourd’hui, lors du rassemblement, Sherazade, une des initiatrices du rassemblement qui ne souhaite, effectivement, pas plus décliner son identité.
Pour Leila A, architecte, « la controverse est secondaire au vue de l’importance de la lutte pour la préservation des acquis de la femme dans le contexte politique actuel. Il faut être uni. Qui n’a pas flirté avec le pouvoir de Zaba en 23 ans ? L’important aujourd’hui n’est pas là. ». Hend, 28 ans, est venue manifester avec 2 amies parce qu’elle pense que « ces droits seront à terme en danger ». Pour Mohamed 77 ans qui accompagne et soutient sa fille et sa femme en brandissant énergiquement une pancarte « la question des droits des femmes ne devraient plus faire débat, c’est un acquis fondamental pour notre société ».
Cependant, lorsque l’on aborde la question de l’égalité devant l’héritage avec l’organisatrice, celle-ci répond que, pour elle, « ce sujet doit être abordé dans un deuxième temps, il ne s’agit pas de choquer mais d’inscrire de manière irréductible le CSP dans la constitution pour éviter un retour en arrière. La constitution contrairement aux lois ne peut pas être abrogée ».
Les femmes sentent le danger
Si l’initiative consistant à œuvrer pour la préservation des droits des femmes est plutôt louable, l’amateurisme et la naïveté de sa réalisation (manque de transparence, exclusion des hommes…) pourrait à terme se révéler dangereusement contre productif. En effet, tout d’abord dans le contexte actuel les forces démocratiques et civiles doivent s’unir pour travailler en réseau, à l’écoute les uns des autres. Pour cela transparence, professionnalisme et mise de côté des egos personnels doit être de mise pour éviter la récupération politique, l’instrumentalisation et la calomnie.
Ensuite, la question des acquis de la femme ne concerne pas que celle-ci mais la société toute entière, il paraît donc absurde et même assez communautariste d’exclure les hommes de ce type de rassemblement. Nadereh Chamlou, femme d’origine iranienne travaillant pour la Banque mondiale et dernièrement en visite en Tunisie, expliquait très justement comment la société iranienne avait peu à peu glissée vers une société de non droit et que les femmes s’étaient trouvées isolées dans la lutte pour leurs droits. Ceux-ci paraissaient secondaires et les femmes n’avaient pas suffisamment associé les hommes dans leur lutte. Il paraît donc ici fondamental de ne pas refaire les mêmes erreurs et d’associer les hommes et toute la société au débat sur le droit des femmes et la préservation de leurs acquis.
Au vue du peu de représentants masculins aujourd’hui au rassemblement, la route risque d’être longue mais fondamentalement nécessaire.
AM
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