Les faits eurent lieu la veille de la journée durant laquelle le drapeau tunisien fut remplacé par un drapeau noir venu d’un autre monde. C’est peut être pour cela que cette affaire est passée presque inaperçue, étouffée par le raz-de-marée médiatique qui concernait l’atteinte au drapeau national !
D’un côté, il y’a des étudiants salafistes qui accusent le doyen d’avoir agressé et chassé une étudiante qui voulait s’informer de ses résultats. Ils accusent le doyen d’avoir poussé l’étudiante pour la chasser de son bureau, jusqu’à ce qu’elle perde son équilibre et chute le long des escaliers. Cela lui a occasionné des bleus et diverses blessures le long du corps. Un certificat médical fut présenté avec la plainte. Celui-ci fut même partagé sur le réseau social Facebook.
De l’autre côté, il y’a M.Kazdaghli qui s’était exprimé sur les ondes de diverses radios pour donner sa version des faits. L’étudiante était agressive. Elle mettait son bureau en désordre en jetant partout les documents et dossiers qu’elle pouvait atteindre. Le Procureur de la République auprès du Tribunal de première instance de La Mannouba avait d’ailleurs constaté les dégâts.
Les deux versions sont-elles conciliables ? Tout semble concorder, puisqu’on peut supposer que M.Kazdaghli ne pouvait être « très courtois, affable ou conciliant » avec les défenseurs du niqab à la Faculté en pleine crise. Le Niqab est devenu en moins de temps qu’il n’en faut l’objet d’une discorde qui a vite dépassé le cadre de l’université provoquant une vraie polémique nationale et suscitant des déclarations contradictoires de politiques et de divers responsables et intervenants de la société civile. L’affaire est restée d’actualité durant des semaines, a fait la une des journaux du monde entier et a jeté le trouble dans l’esprit d’une bonne partie des tunisiens.
D’autre part, l’agressivité des étudiants salafistes envers le doyen n’est pas du tout surprenante. Il semble incontestable que l’étudiante fut agressive, et que M.Kazdaghli dut la chasser en la bousculant un peu, voyant son bureau complètement dévasté.
Ceci dit, le certificat de l’étudiante qui porte plainte contre H. Khazdaghli présente un paradoxe flagrant : Le médecin de l’étudiante était un homme. Pour une femme participant à un mouvement visant à ne plus laisser un enseignant voire ses yeux, découvrir son corps à un médecin laisse perplexe ! Elle aurait pu choisir un médecin femme ! De là à mettre en doute la véracité du certificat, il y’a un pas que beaucoup se hâtent de faire !
Habib Khazdaghli a aussi fait l’objet d’une campagne de dénigrement de façon rigoureuse et ciblée. Il s’agissait d’accusation de « coopérer avec Israël ».Parmi ses nombreuses activités, le doyen de la faculté des lettres de la Manouba est membre de la société d’histoire des juifs de Tunisie, membre du projet « Aladin » dont l’objectif est de lutter contre la prolifération du négationnisme de la « Shoah » dans le monde en fournissant des études fiables en arabe, en persan et en turc.
Accuser H. Khazdaghli de « soutenir Israël » pour insinuer qu’il est un homme « sans foi ni loi », « vendu à l’étranger », « soutenant les ennemis »…est la méthode utilisée par les salafistes afin de le discréditer. Par pareilles manipulations, on fait pression sur l’opinion publique pour vider le discours de M.Kazdaghli de toute véracité, et de toute valeur informative et argumentative, sans avoir à convaincre ou à contrer l’argument, mais simplement en tentant de persuader que c’est un homme indigne de confiance ! Des pratiques venues d’un autre temps autant que ce drapeau venu d’un autre monde !
Ceci dit, les répliques face à ce procès que beaucoup jugent « de la honte » ne se font pas attendre.
Les membres fondateurs du Comité de défense des valeurs universitaires, de l’autonomie institutionnelle et des libertés académiques se sont réunis le vendredi 22 juin au siège de la Ligue tunisienne des droits de l’homme et ont publié un communiqué pour dénoncer la mise en examen du doyen. Le comité adopte la version donnée par M.Kazdaghli et lui voue un soutien inconditionnel, allant jusqu’à la présence symbolique lors de son procès.
Un appel est lancé au syndicat général de l’enseignement supérieur ainsi qu’à la Ligue des droits de l’homme afin de soutenir le doyen, un autre concerne l’autorité de tutelle « afin qu’elle assume ses responsabilités administratives en assurant la sécurité des institutions universitaires et en protégeant les enseignants, les étudiants et le personnel administratif des agressions physiques et morales », selon le communiqué.
M.Kazdaghli a été le premier responsable d’une institution universitaire qui a connu des conditions pour le moins difficiles, et on ne peut que saluer ses efforts en voyant que finalement les examens ont eu lieu, et que la crise a fini par être dépassée !
Reste que dénoncer la mise en examen de M.Kazdaghli, c’est refuser que la justice puisse se prononcer sur son cas suite à une plainte. Si les salafistes veulent porter plainte, que la justice suive son cours.
Si le doyen est incontestablement estimé de ses collègues, cela ne veut pas dire qu’une mobilisation générale doit dénoncer qu’il fasse l’objet d’un procès. Personne n’est au dessus des lois, et tant que le procès est équitable, il n’y a pas lieu de crier au scandale !
Pour conclure, beaucoup ne partagent pas cet avis. Ils pensent que M.Kazdaghli mérite d’être soutenu pour ses efforts et sa patience et que ce procès est une honte.
Maintenant, l’explosion médiatique de soutien au doyen risque aussi de réveiller une autre campagne pour soutenir l’étudiante niqabée, et de plonger les tunisiens encore une fois dans une bataille qui ne servira pas leurs intérêts.
Le tout sous le regard hagard d’un gouvernement qui se débat et d’une troïka qui selon toute vraisemblance bat de l’aile depuis l’extradition de Baghdadi Mahoudi et le limogeage du Gouverneur de la Banque centrale par le Président provisoire de la république Moncef Marzouki.
Une autre affaire à suivre de près !
Mohamed Anis Abrougui
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