Certaines se sont laissées aller à revendiquer l’égalité dans l’héritage… Etaient-elles crédules de ne pas penser que la révolution tunisienne n’allait pas commencer par manger ses propres femmes?
Nadia Chabbane, élue PDM de la Constituante, écrit le 10 Aout 2012 sur son blog: «Ce 13 août 2012 a un goût particulier, car jusque-là nous les femmes tunisiennes étions omniprésentes dans ce processus que vit la Tunisie, à l’avant-garde des mobilisations et des initiatives; artisanes et artistes, tisseuses et actrices, petites mains et leaders. Si certains pensent que nous ne pourrons pas aller plus loin, que la société est conservatrice et que nous allons finir par rentrer dans les rangs et accepter de perdre un peu de notre espace vital de peur de tout perdre, ces esprits malades se trompent. Les centaines de milliers de femmes qu’on entend peu dans les médias et qu’on voit peu sur les plateaux incarnent la résistance dans la Tunisie d’aujourd’hui, comme elles l’ont incarné hier. Nous ne céderons pas un pouce de nos droits et irons vers la conquête d’autres la tête haute et rien ne nous arrêtera. Courber l’échine et se résigner sont des mots absents de nos esprits mais aussi de nos vies. Nous irons vers l’avant, fières de ce que nous sommes et de ce que nous avons et surtout déterminées à vouloir toujours plus».
Sauf qu’aujourd’hui, le combat des femmes est de préserver leurs acquis.
Si le 13 Aout 1956, les droits des Tunisiennes sont promulgués dans le Code du Statut personnel (CSP), ce mois d’Aout 2012 un projet d’article de la future Constitution Tunisienne stipule que «l’État assure la protection des droits de la femme sous le principe de complémentarité avec l’homme au sein de la famille en tant qu’associée de l’homme». Concrètement, cela revient à dire que c’est le principe d’égalité qui est remis en question. Un coup dur, un revers de la révolution ou est-ce un leurre pour une énième diversion ou un pur calcul tactique?
L’alerte vient de la Constituante
L’alerte est venue du parti Ettakatol à travers la députée Selma Mabrouk et dans les coulisses du Bardo, on ne cesse de parler des bouderies d’un Mustapha Ben Jaafar qui se dit intraitable sur la question des libertés des femmes. Lobna Jribi, autre députée Ettakatol aussi, a dressé dans une récente séance plénière un bilan préoccupant de la situation des libertés des femmes allant jusqu’à énumérer les dérapages d’une police qui fait dans l’excès de zèle et prend à parti les femmes à cause de leur manière de s’habiller, de s’exprimer, de s’opposer. Maya Jeribi, autre lionne de l’Assemblée Constituante a depuis des mois sonné l’alerte en déclarant notamment la semaine écoulée que les femmes sont menacées «à l’intérieure comme à l’extérieure de l’hémicycle de l’assemblée Constituante».
Un avis que ne partagera évidemment pas Meherzia Laâbidi, vice-présidente de l’ANC, soulignant que l’article controversé stipule le principe de la complémentarité entre l’homme et la femme au sein de la famille et la société. Elle a estimé que «les droits de la femme sont préservés et ne pourront pas être touchés», affirmant «la nécessité de leur consolidation» et que «la constitution qui sera rédigée comportera également, un article qui consacrera le principe d’égalité entre les sexes». Elle a considéré que «plusieurs rumeurs et lectures erronées qui circulent font naître chez la femme et la société civile, un sentiment de perte de ses droits», rappelant que «le code du statut personnel (CSP) représente un acquis pour la femme tunisienne et que les efforts se poursuivent pour préserver et développer cet acquis».
Reste que des ministres, des responsables politiques et des élus de l’Assemblée Constituante contestent maladroitement les dispositions légales existantes, en particulier celles sur l’adoption ou la monogamie. S’agit-il de sonder le degré de réceptivité de la population à leurs thèses? Essayent-ils de peser la capacité de réaction de la classe politique et de la société civile? Pourquoi l’état ne fait rien pour mettre fin a des mariages «ourfis» et à la polygamie qui commence à se propager en Tunisie? Pourquoi les actuels gouvernants observent-ils un silence incroyable devant les exactions des groupes salafistes, dont la misogynie est un des fonds de commerce.
Le devenir des femmes en Tunisie soulève en de pareils moments de transition démocratique de l’inquiétude. L’étau semble se resserrer et on ne compte plus les cas de dépassements contre les libertés individuelles, (artistes tabassées, militantes insultées…). La société civile tunisienne est sur le qui-vive et une manifestation mobilisant toutes les forces vives est prévue Lundi 13 Aout 2012 afin de fêter la femme et appeler à préserver ses acquis.
Un rendez-vous capitale à quelques semaines de la fin attendue de la rédaction de la nouvelle constitution tunisienne et à un moment où «Les risques de régression ne concernent pas uniquement les droits de la femme puisqu’il s’agit en fait d’une remise en cause de tout un modèle de société initié en 1956 avec l’édification de la Tunisie moderne», selon le doyen Sadok Belaid, intervenant vendredi lors d’une rencontre organisée par le Credif sur le thème «Le CSP: questions actuelles».
Une sonnette d’alarme qu’avait tiré Mre Bochra Ben Hmida, avocate et fervente militante des droits de l’homme dans une récente conférence où elle avait déclaré: «J’ai peur… Je suis pessimiste même quant à l’avenir de la Femme dans le monde arabe et ce pour plusieurs raisons. La Tunisie vit, actuellement, une sorte d’apostasie dans le cadre de ce qu’on a qualifié de rupture avec le passé. La Tunisie est considérée en tant que précurseur dans le monde arabe. C’est le premier pays avoir émancipé la femme en lui accordant la totalité de ses droits par la promulgation du Code de Statut Personnel. Et avec ça, on essai de rompre avec ces gains, ces acquis et renvoyer la femme, qui a participé au soulèvement du 14 Janvier 2011, à l’ère des ténèbres, de la peur, de l’incertitude…»
Un constat qui mérite réflexions, mobilisation, engagements. Un état de fait contre lequel les femmes mais aussi les hommes se mobilisent. Elles sont dans la rue, dans les manifestations, dans les partis politiques et les associations de la société civile, dans les écoles, les bureaux et dans les usines travaillant, luttant devant la cherté de la vie, les difficultés d’une scolarité difficile où elles excellent, luttant contre l’injustice sociale et participant à l’édification d’une société meilleure, plus juste et équitable.
Reste à savoir que pour revenir sur la modernité de la Tunisie, le parti islamiste Ennahdha devra toucher aux droits des femmes tunisiennes et à leurs acquis. Un luxe qu’il ne peut se permettre même si «une partie de la population gagnée aux idées conservatrices et formatée depuis des années par la propagande des chaînes satellitaires arabes a déjà modifié ses pratiques sociales et ne trouverait rien à redire à un recul de la loi. Mais il ne faut pas sous-estimer non plus la profondeur du processus de sécularisation de la société tunisienne depuis un demi-siècle et le refus d’une partie non négligeable de la population de le remettre en cause» explique la journaliste Sophie Bessis.
Il y’a quelques mois encore, personne n’osait s’attaquer au CSP. Aujourd’hui, un pas est franchi. Ce pas est le premier et risquerait s’il venait à passer de tout emporter avec lui. Les rêves d’un pays moderne et le projet d’une démocratie à construire.
Amel Djait
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