Crise syrienne : quel rôle pour la Tunisie ?

Aujourd’hui, faute d’avoir tenu leurs promesses de renverser le régime,  tous les pays adversaires de la Syrie veulent calmer le jeu et s’acheminer vers une solution diplomatique. Alors  pourquoi le  gouvernement tunisien persiste-t-il à vouloir intervenir dans les affaires intérieures syriennes, s’arrogeant jusqu’au droit de décider du lieu d’exil de président Bachar Al Assad. Le premier Ministre va jusqu’à vouloir le jeter en pâture à son peuple s’il venait à se rendre en Tunisie. Le gouvernement a fait son choix. Ce que veulent les Occidentaux et dans leur sillage les pétromonarchies, est également ce qu’il veut.

Se mettre dans la ligne  de l’Occident et leurs vassaux du Golfe pour soi disant défendre la démocratie et les droits du peuple syrien c’est réellement vouloir faire nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Il n’échappe à personne, à moins d’être un peu simplet, que pour l’Occident la démocratie et les Droits de l’homme n’ont jamais représenté une priorité mais que seuls leurs intérêts priment. Il suffit de s’arrêter un peu sur leur attitude bienveillante vis-à-vis des monarchies esclavagistes et rétrogrades, qui n’ont jamais eu ni parlement ni élections. Il est d’ailleurs amusant de voir ces roitelets, grabataires et impotents pour la plupart,  se prendre pour les Che Guevara du monde arabe, quand jamais l’un d’entre eux n’a eu le courage d’exiger la moindre sanction contre Israël.

Si sur le plan des libertés politiques, tous les pays arabes se valent, qu’en est –il des libertés individuelles ? Les pays du Golfe seraient-ils plus démocratiques que la Syrie en ce qui concerne les femmes, la religion, la culture… ? Peut-on vraiment se convaincre,  à moins de se moquer de soi-même, que c’est du Golfe que sera donné le coup d’envoi de la Renaissance arabe ? Depuis les élections d’octobre 2011 en Tunisie, et l’arrivée du parti Ennahdha au pouvoir, on a vu défiler plusieurs prédicateurs venus d’Arabie Saoudite. Il y en a-t-il un seul qui soit venu parler de démocratie, de droits de l’homme, d’émancipation de la femme ? Il y en a-t-il un seul qui soit venu parler du droit de chacun à la santé,  au savoir et à la culture ? Tous les démocrates et les progressistes de Tunisie sont  d’accord pour dire que leurs discours ne véhiculent que l’intégrisme et l’obscurantisme.

Alors si ces monarques sont intrinsèquement rétrogrades et antidémocratiques, la bonne question n’est-elle pas de savoir pourquoi s’acharnent-ils ainsi contre le régime syrien et particulièrement contre le président Bachar Al Assad ? Nul besoin de creuser pour se rendre compte que c’est sous l’injonction de l’Occident que ces régimes ont adopté cette attitude hostile et belliqueuse.

Autre question, si les droits de l’homme ne le concernent pas tant qu’il veut le laisser croire, dans quel but l’Occident s’en est-il pris au régime syrien ? Pourquoi veut-il à tout prix  son changement et le départ de son président ? Dans quel intérêt? Où se place l’intérêt d’Israël dans tout cela ?  Et pourquoi est-ce justement les pays arabes qui ne se cachent plus d’avoir des relations quasi officielles avec l’entité sioniste qui font preuve du plus grand activisme sur le front syrien ?

« Le régime de Bachar est celui qui sert mieux les intérêts israéliens »  nous répète souvent  le gouvernement tunisien, citant le cas du Golan, occupé depuis plus de quarante ans et qu’à ce jour, les Syriens n’ont jamais tenté de récupérer par les  armes. Que pareil argument soit donné par le citoyen lambda, passe encore mais quand il vient des haute sphères de la politique tunisienne, on est en droit de se poser des questions sur le niveau de la culture politique de nos dirigeants.
Oui le régime syrien n’a jamais tenté la moindre incursion au Golan, mais n’a-t-il pas eu  raison d’adopter cette attitude? Cela fait-il de lui un allié d’Israël ? Alors que la plupart des grands stratèges approuvent cette démarche et la jugent sage, seul notre gouvernement, qui ne cesse de faire preuve d’immaturité politique, nous dit le contraire.
Le régime syrien ne se fait pas d’illusion et sait que l’Occident l’a toujours attendu au tournant si jamais il se hasardait à déclarer la guerre à Israël. Il est conscient que dans une guerre conventionnelle, il n’est pas évident qu’il puisse gagner la partie quand l’ennemi sioniste bénéficiera non seulement du soutien occidental mais de tous les pays arabes à la botte des Etats-Unis.

La Syrie a adopté une stratégie plus pernicieuse, celle d’apporter un soutien sans failles aux véritables ennemis d’Israël  qui sont les mouvements de résistance du Hezbollah chiite et du Hamas sunnite, acteurs majeurs du conflit israélo-arabe,  réunis par leurs ennemis communs, l’Etat hébreu et Tsahal..  C’est à travers la Syrie que l’Iran n’a cessé de ravitailler ces deux mouvements en armes.

C’est la Syrie qui a hébergé chez elle les membres du Hamas et du Jihad expulsés de Gaza. C’est la Syrie qui apporté tout le soutien logistique nécessaire à la victoire remportée haut la main par le Hezbollah en 2006.  C’est la Syrie qui a accueilli les réfugiés du Sud Liban leur permettant de retourner sur leur terre  à la fin des affrontements, quand Israël pensait les déplacer définitivement vers le Nord du pays. C’est encore la Syrie qui a aidé le Hamas à tenir tête à Israël lors l’Opération plomb durci en 2009.

Imploser la Syrie, c’est détruire le pont qui relie l’Iran à ces mouvements et par là,  assurer à Israël un avenir radieux au milieu de tous les autres pays arabes, prêts à le reconnaître et à enterrer une fois pour toutes la question palestinienne. On comprend pourquoi de tous les mouvements d’opposition au régime syrien, seule le CNS jouit du soutien sans faille de la coalition Occident-pays arabes ? N’est-il pas le seul à avoir déclaré que s’il venait à prendre le pouvoir, sa première initiative serait de rompre les relations avec l’Iran et le Hezbollah et de reconnaître Israël ?
Posons maintenant la question aux dirigeants tunisiens : où placent-ils la Tunisie sur cet échiquier ? Pourquoi soutiennent-ils avec tant de ferveur le CNS ? Pourquoi s’acharnent-ils sur la personne du président syrien qui ne s’est jamais montré hostile à eux ou au peuple tunisien ?

Quel pouvoir avons-nous en Tunisie de changer le cours des choses en Syrie ?  Même nos capacités à nous faire entendre et faire passer nos propositions sont quasi nulles. Nous pouvons aider à attiser le feu de la gabegie par nos déclarations intempestives, mais au final sommes-nous une partie prenante dans ce conflit pour prendre des positions aussi tranchées ?
Nous risquons beaucoup plus de faire partie du butin de guerre que vont se partager les grands décideurs que d’être partie prenante dans les négociations.  

Fatma BENMOSBAH

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