C’est à la faveur du 1er Festival de bridge d’Arabie Saoudite, en accompagnant ma mère, que je découvre l’Arabie saoudite ou une infime partie de ce pays gigantesque; Un pays en devenir. Reportage par Amel Djait
Au mot d’ouverture du Festival, le grand patron de la ville de Djeddah, équivalent de notre gouverneur, entame son discours de bienvenue par un souvenir. Son propre père jouait au bridge. A l’époque, il le faisait en voyage ou attendait la visite de quelques amis étrangers pour s’adonner à ce sport. Avec le wahhabisme d’antan, toute expression de joie et de plaisirs de la vie étaient interdits.
L’interdit frappait la simple musique dans les locaux communs, les cinémas, les éclats de rire… Aujourd’hui, l’Arabie Saoudite organise des festivals et des festivités à tout va. Elle y met bien entendu les moyens qu’il faut ! Elle y met surtout la volonté!
Ici, organiser un festival et recevoir des étrangers pour partager sa culture est important. Démontrer la transformation en cours est une fierté. Une nécessité. A ce stade, le pari est déjà réussi. Petits et grands, hommes et femmes, expatriés y vivant ou partenaires d’un jour, tout le monde est mobilisé pour la transformation du pays. Inscrire l’Arabie Saoudite dans la modernité et profiter de chaque instant pour rattraper le temps perdu.
La transformation comme mode de vie
Il ne fait aucun doute qu’il se passe quelque chose en Arabie Saoudite. Et de cette transformation, on ne voit encore presque rien.
« L’année prochaine, un autre niveau de changement sera atteint » déclare durant un des discours des festivités du Festival de bridge un responsable politique : « La ville de Djeddah regarde vers la mer et vous serez surpris par ce que nous y préparons. La mer nous ouvrira de nouvelles voies. Revenez l’année prochaine et vous ne serez pas déçus ! «
Il faut admettre que le nombre de projets dans le cadre de la « Vision 2030 » donne le tournis. La stratégie est d’assurer le développement du premier pays exportateur mondial de brut dans un avenir sans pétrole. Cela est en voie de devenir une réalité. Forte d’une population de près de 39 millions d’habitants, l’Arabie Saoudite reçoit l’Exposition universelle de 2030 qui devrait attirer 40,7 millions de visiteurs. Le pays est déjà le seul candidat à l’organisation de la Coupe du monde de football en 2034.
Et 2034 en Arabie saoudite, c’est déjà hier !
On dit souvent que les promesses n’engagent que ceux qui y croient. En Arabie saoudite, les réalisations sont presque aussi nombreuses que les promesses. En témoigne le récent défilé marquant les 45 ans de carrière d’Elia Saab qui a fait le tour du monde, avec en invitées d’exception les chanteuses Céline Dion et Jenifer Lopez https://fr.fashionnetwork.com/news/Celine-dion-jennifer-lopez-et-camila-cabello-se-produisent-en-elie-saab-lors-du-defile-de-gala-a-riyad,1679450.html Durant cet événement, la beauté du show rivalisait avec la nudité affichée et assumé dans un pays où la vue d’un cheveu ou d’un simple petit orteil de femme était interdit.
De l’évènementiel pour fédérer
Pareils évènements ont pour mission de créer les électrochocs nécessaires pour soutenir les changements de perceptions. Ceux-ci sont nécessaires aux transformations en cours. Les éléments de langage des responsables politiques du pays ne parlent quasiment plus de secteurs, d’économie ni de valeur. Ils évoquent les investissements de transformations, le développement de la prospérité et le dialogue des cultures.
Pour n’évoquer que le tourisme, la transformation en cours est ahurissante. Dans un article d’Arabnews, on lit: « Hala Matar Choufani, présidente de HVS pour le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie du Sud, a indiqué que les arrivées en Arabie saoudite au cours des 18 derniers mois – en grande partie grâce aux changements législatifs et à l’assouplissement des conditions d’obtention des visas – témoigne de l’attrait croissant du pays. Cette hausse ne se limite pas aux destinations et aux secteurs établis tels que le tourisme commercial et religieux. Le “bleisure” et le tourisme de loisirs sont également en hausse.
Au jour d’aujourd’hui, le pays travaille à diversifier son offre et les perspectives d’investissements sont considérables. Tous les brands hôteliers du monde s y bousculent. Dans le pipe, plus de 100 mille lits sont en train de sortir de sous terre. L’hôtellerie saoudienne devrait générer un chiffre d’affaires de 2,51 milliards de dollars cette année et atteindre 3,02 milliards de dollars d’ici 2027.
D’ici la fin de 2024, Le premier Sommet international MICE (IMS24) réunira plus de 1 000 leaders mondiaux du marché du MICE (Meetings, Incentives, Conferences and Exhibitions). Les éléments de langage évoquent l’industrie MICE comme « un catalyseur essentiel du changement et des réponses aux besoins d’un monde globalisé, remodelant la façon dont les personnes, les cultures et les pays se connectent pour créer la prospérité« . Les événements MICE ont connu une augmentation de près de 15 % en 2023, avec près de 17 000 événements qui ont attirés 20 millions de visiteurs.
100 millions de visiteurs en 2023
L’Arabie saoudite a accueilli près de 110 millions de visiteurs en 2023 et le tourisme représente 6 % de son PIB. Pour le moment, le E-visa s’accorde à 106 nationalités, coûte 100US et il est délivré en 5 minutes chrono avec un sourire franc et généreux. Pour l’instant, se promener en tant que femme à Médine sans foulard ni « abayaa » est une réalité. Dans les mall hyper chics, la foule ne se bouscule pas et les vieux réflexes sont encore là! Au volant, les taxis râlent quand une femme au volant les dépasse. Mais bien entendu la misogynie des hommes quand il s’agit de voitures est notoire et ne connait pas les frontières!
Que se passe-t-il en Arabie Saoudite ? Rien de particulier et pourtant…
L’aéroport international de Djeddah reçoit plus de 40 millions de voyageurs et table sur 120 millions en 2030. Une nouvelle gare offre les services d’un Tgv digne des plus grandes capitales du monde. A Djeddah, les autoroutes sont innombrables, les centres commerciaux gigantesques et les ronds-points s’habillent d’installations artistiques au milieu de jardins foisonnants.
Depuis mon arrivée, je cherche désespérément des ampoules d’éclairages publics grillées et des enseignes défaillantes! Difficile d’en trouver. Je me dis que c’est juste le résultat de gros moyens et d’une bonne gouvernance. Les grues pullulent, Djeddah est un énorme chantier et me fais penser à Dubai ou Pékin ou Shangai il y’a 15 ans.
Jusque là, rien d’exceptionnel! Mais qu’est ce qui pourrait ne pas aller dans ce pays qui semble accuser le coup d’accélération de son histoire sans grands fracas?
L’actualité de l’Arabie saoudite, c’est un record d’exécution des étrangers parmi le plus haut du monde aux côtes de l’Iran et de la Chine. La peine de mort appliquée par Riyad est souvent pointée en contradiction avec le visage réformiste qu’elle veut présenter à l’international. A ce jour, aucun parti politique n’est autorisé et un activiste a été récemment condamné pour quelques tweets https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2016/03/saudi-arabia-journalist-sentenced-to-five-years-in-prison-for-tweets-latest-victim-of-ruthless-crackdown/.
Femmes et libertés
La part des femmes saoudiennes dans la population active a plus que doublé depuis 2016, passant de 17 % à 37 % en 2022. Elles restent cependant plus frappées par le chômage que les hommes comme de nombreux pays émergeants. Le taux d’activité des saoudiennes devrait augmenter en 2024, précise l’AGSIW( https://agsiw.org/). D’après les calculs du Fonds monétaire international (FMI https://www.imf.org), l’augmentation du taux d’activité des femmes pourrait représenter 1,6% du produit intérieur brut (PIB) de l’Arabie saoudite.
Les nouvelles côté investissements fracassants subissent un recalibrage avec des dépenses publiques en diminution. A titre d’exemple, The Line, https://www.vision2030.gov.sa/en/explore/projects/the-line qui devait accueillir 1,5 million de personnes dans une ville linéaire en plein désert ne pourra loger que 300 000 habitants. Comment négocier autant d’investissements en faisant évoluer les mentalités et en se pliant aux défis majeurs du réchauffement climatique, de l’instabilité politique régional et mondial? Comment tenir face aux guerres voisines? Comment Comment renforcer les nouveaux et fragiles acquis en tenant compte les réfractaires aux changements? Où se terre une partie de la population saoudienne qui a été endoctrinée pendant des décennies par le clergé wahhabite?
Jusqu’à présent, la monarchie saoudienne réussit à faire le grand écart entre l’ensemble de ses actuels et contradictions passés. La transformation actuelle se confirme et ses aspects se multiplient à une grande vitesse poussant le régime à dépasser ses propres limites. Aller encore plus haut, plus loin et plus vite. La survie du régime est à ce prix.
Pour ma part, c’est dans l’intimité du Festival de bridge de Djeddah que je découvre que la ferveur religieuse et la tension traditionaliste peut laisser de plus en plus de place à la ferveur du besoin de libertés. Et c’est tant mieux!
Les danses de la liberté
La fédération saoudienne de bridge, dirigée par une main de maitre par un des plus grands pneumologues de la ville de Djeddah, en est la preuve. Un homme affable, multi-talent et à l’engagement inconditionnel veille sur l’évènement. Pour lui, Le DJeddah bridge festival n’est pas seulement un jeu, une compétition. C’est la fête de son pays qui change. C’est le numéro zéro d’une copie qu’il va revoir à la hausse avec la « dreamteam » qu’il a composé pour l’organisation de l’évènement. Son pari est gagné : 18 pays, plus de 300 participants et une assiette de sponsoring à faire pâlir bien des festivals de par le monde.
Dans ses remerciements, le soir de clôture du festival, il n’oublie presque personne. Il salue les invités venus des 4 coins du monde, l’agence évènementielle, l’agence de voyage réceptive, les interprètes, les arbitres,…Une chaine de valeur locale et au savoir-faire confirmé qui aiguise ses compétences un peu plus à chaque pas. Le programme du Festival, outre les jeux, était intense et programmait une omra, des déjeuners et diners privés, des visites de collections d’art, une immersion dans la vielle ville…Rien n’a été laissé au hasard pour être agréable aux visiteurs.
La soirée de clôture fut l’apothéose. Réglée comme du papier à musique, les joueurs se succèdent pour recevoir leurs trophées. L’équipe de jeunes bridgeurs de Grèce font un carton plein! La bonne humeur est de mise et la bienveillance du Président de la fédération de bridge y est pour beaucoup. Car une autre bataille se jouait dans la salle, ce soir- là !
La soirée a été l’occasion de fêter la transformation en cours. Un spectacle de chants et de danses populaires du pays était de mise. Les chanteurs et danseurs professionnels auxquels se mêlaient les organisateurs, les responsables de la fédération saoudienne et même les politiques ont dansé la « ardah », une performance qui allie poésie, percussions et danse rythmique. Celle-ci puise ses racines dans l’histoire militaire et se pratique souvent à l’occasion de fêtes ou de mariages. Ils ont ensemble portés dans la fierté cette nouvelle manière de vivre son identité. Un mieux vivre dans son pays.
L’apothéose est bien entendu la danse traditionnelle et élégante d’une saoudienne avec le sabre. Grâcieuse, elle transmet au delà de sa joie, sa liberté d’être une femme de plus en plus libre en Arabie saoudite aujourd’hui.