« La vertu est une valeur que nous sommes fiers de retrouver en ces temps nouveaux. Afef est une des revendications de la révolution », dira Abdelkrim Harouni, ministre des Transports au micro de l’animateur de la chaine « Al Jazira » qui a retransmis le mariage collectif en direct. «Cette association est au service des Tunisiens et elle fait la différence entre ceux qui sont au service du peuple et ceux qui se jouent de lui », commente de son côté le ministre de l’Agriculture.
Samedi dernier, quelques 25 couples des jeunes ont donc été mariés en grandes pompes sous l’œil attendri d’une partie du gouvernement tunisien. Un mariage retransmis en direct sur la chaine « El Jazira ». Faut-il juste présenter ses félicitations aux jeunes époux ou s’offusquer du voyeurisme d’un média étranger? Quelles sont les motivations de la chaine pour transmettre pareil événement? Quelle image renvoie-t-on une fois de plus du pays ?
Quel est le rôle des médias, fortement critiqués par Ennahdha, et des membres du gouvernement quand l’actualité devrait retenir leur attention sur plus de 50 Tunisiens morts dans une tentative d’immigration clandestine ? Les médias doivent-ils applaudir des pratiques venues d’un autre temps et qui ne sont pas sans rappeler les circoncisions d’ailleurs pratiquées par le régime déchu mais plus discrètement ?
Pousser la «solidarité» jusqu’à l’organisation d’un rassemblement dont la fête est absente est un exercice qui mérite de la mobilisation, des revenus, du sponsoring… Un privilège que ne peuvent se permettre beaucoup d’associations et dont il faut creuser les financements. D’ailleurs l’association «Afef» parle de s’attaquer bientôt aux logements pour les heureux mariés. Tout un programme ! Espérons que les prochains rendez-vous matrimoniaux ressembleront un peu plus à des fêtes. La cérémonie en question ressemblait si peu au sens que se font les Tunisiens des mariages même dans les milieux conservateurs!
A ceux qui se demandent si des clauses interdisant le divorce sont comprises dans le forfait, il faudra attendre pour recevoir la réponse. Quoique chez « Ennahdha », on ne divorce pas ou peu. C’est facile, on laisse de côté l’épouse et on en prend une autre ! Merci qui ? Merci « Ennahdha » et son projet de société pour la Tunisie. Au moins, cette soirée a rajouté 25 « complémentaires » qui espérons-le pour elles sont heureuses mais pour combien de temps ?
Le dernier mariage collectif d’Ennahdha s’est tenu le 25 Juillet 2011. 7 couples d’heureux tourtereaux avaient convolé en justes noces. La fête avait duré deux heures et provoqué une polémique. Désormais au pouvoir, le parti persiste et signe. Pourquoi se priver si l’on peut se rendre service et tenter de faire briller son image en rendant les autres plus heureux ? Il va de soi que ces pratiques, outre le fait d’être à mille lieux de nos coutumes, auraient imposé de préserver la dignité des gens à qui on prétend venir en aide. Ceci bien entendu, aurait exclu toute dimension politique de cette œuvre caritative.
Reste à savoir depuis quand un gouvernement s’affiche ainsi à des mariages ? Ces événements seront-ils comptabilisés dans leur bilan, pour une future campagne électorale ou est ce juste du populisme d’un goût douteux ? A moins que cela ne soit une réponse à la campagne « Ikbess » qui demande des actes concrets. Ennahdha a donc trouvé un moyen pour reconduire la brillante idée de se rapprocher de ses bases les plus jeunes afin de ne pas laisser ses concurrents progressistes, et autres «ennemis de la révolution» accaparer la jeunesse révolutionnaire.
Considérés comme des promesses, ces mariages collectifs séduisent des jeunes épuisés par la misère en leur rappelant que leur corps a des besoins et que l’horloge biologique est en marche. Jouer sur les besoins naturels de jeunes fougueux relève d’une certaine forme de perversité.
Faute de répondre aux attentes de la jeunesse par un programme politique et économique, Ennahdha propose une autre façon d’enclencher l’action. Peut-être qu’à force de coups médiatiques de ce genre, ce parti finira par établir une stratégie qui résoudrait plusieurs problèmes urgents de la jeunesse. Pour le moment, voici venu le temps de voir la Tunisie transformée en une vraie capitale du mariage. C’est idéal pour calmer les esprits, faire travailler les PME et remplir les hôtels de forfaits « voyage de noces ». Qui dit mieux ?
Amel Djait
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