Mais aussi une assemblée qui ne soit pas atomisée, au risque de n’avoir pas suffisamment de cohérence. Or, outre Ettajdid, le PDP et le FDTL, les trois partis légaux qui ont résisté sous Ben Ali, nous avons depuis le 14 janvier, plus de 100 partis, allant de l’islamisme (dans sa complexité) au marxisme léninisme et même au Baath.
L’échiquier politique est en saturation. N’est-ce pas assez pour représenter l’essentiel des tendances politiques et des courants idéologiques qui peuvent exister en Tunisie ?
Pourtant, la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, la transition démocratique et la réforme politique (HIROR) a cédé à la tentation et ouvert la voie aux candidats indépendants, pour une plus grande représentativité, nous a-t-on dit. Soit ! Mais faute d‘avoir mis des conditions minimales (parrainage, caution..) permettant de limiter les candidatures fantaisistes, nous nous retrouvons aujourd’hui avec plus de 1300 listes en lice, dont près de la moitié sont réputées indépendantes. Certains ont pu attirer l’attention sur les risques, voire les dangers de cette multiplication de listes sous couvert de libéralisme politique. Mais rien n’a été fait pour en limiter les effets.
Or une semaine après le début de la campagne électorale, d’autres risques apparaissent. Le premier est d’ordre financier et c’est un risque avéré ; car les deniers publics – et par conséquent les contribuables- devront comme le prévoit la loi, financer toutes les listes même celles qui n’ont aucune chance d’atteindre un score minimal.
Or, il n’est qu’à constater ici et là les espaces vides sur les panneaux d’affichages ou à entendre les propositions farfelues et les promesses surréalistes de certains candidats indépendants, pour se rendre à l’évidence que beaucoup de listes n’existent que formellement! Toutes ces listes recevront pourtant l’intégralité de la subvention publique prévue à cet effet et ne seront tenues qu’à rembourser la moitié des sommes reçues au cas où elles n’atteindraient pas le seuil des 3% des voix. Sauf que la loi ne prévoit aucune sanction pour les contrevenants. Un beau gaspillage en perspective alors que tout le monde se présente en gardien de l’argent public. Et les sommes ainsi engagées se comptent en millions de dinars !
Le second risque est éminemment politique et il est double. Car si l’électeur normalement informé a pu se faire depuis quelques mois, une idée des programmes et des projets politiques des principaux partis en compétition, il n’en va pas de même des listes indépendantes créées ex nihilo avec des appellations improvisés frisant parfois le comique et qui ne font que polluer le paysage politique, avec une inflation de candidats et qui ne contribueront en définitive, qu’à disperser les voix.
Ensuite, à l’exception de très rares listes indépendantes comme « Dostourouna » qui défendent un projet relativement cohérent et original et qui devraient à terme se transformer en parti ou se fondre dans des partis existants ; les autres listes s’inscrivent le plus souvent dans une logique d’intérêts locaux, alors qu’aujourd’hui l’enjeu est essentiellement national, ou pis encore sont nettement dans le sillage de tendances politiques déjà représentées comme les islamistes, dont ils ne sont pour ainsi dire que des supplétifs. Le rôle de ces listes n’est-il pas de tromper « l’ennemi » et surtout de tirer avantage du système électoral, basé sur une proportionnelle aux plus forts restes.
Espérons que les Tunisiens qui aspirent à une Assemblée pluraliste permettant l’établissement d’une constitution fidèle à la richesse de notre histoire, mais s’inscrivant dans les principes de liberté, de modernité et de progrès, sauront déjouer ces risques et bien d’autres. Pour qu’au matin du 24 octobre nous nous ne réveillons pas avec une assemblée dominée par une majorité peut-être plurielle; mais nettement réactionnaire!
Leith Ben Bechr
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