Le principe démocratique consistant à respecter l’opinion de l’autre même si on ne la partage pas est-il une illusion ?
Le principe même du vote démocratique est nouveau, beaucoup voterons pour la 1ère fois de leur vie le 23 octobre prochain et au vue du nombre conséquent de partis en course les choses ne sont pas particulièrement simple.
Les débats télévisés chaotiques et l’arrachage d’affiche ne font que semer un peu plus le trouble dans l’esprit de beaucoup et lasser les autres du fait politique. Certains citoyens et citoyennes ne savent pas encore pour qui ils voteront, d’autres non même plus envie d’aller voter.
Un ami me disait le week-end dernier que sa mère lui a demandé de lui indiquer pour qui voter. Ce n’est pas un cas isolé. Sayda, femme de ménage, qui a fait la démarche de s’inscrire ne votera finalement pas, comme un homme, costume cravate et attaché case, croisé dans la rue en plein débat avec une sympathisante d’Ettakatol, parce qu’ils se sentent en terrain inconnu et puis aussi parce que « hkaya fargha » (sic). Nous connaissons tous des cas comme cela. Outre le fait de les convaincre d’aller voter et d’essayer de leur expliquer les grandes lignes des partis, il est temps de se demander ce qui ne va pas dans le système. La situation est pour le moins déprimante. Et pour la première fois, aujourd’hui, j’en serais même à douter de notre potentiel à assumer une démocratie.
En août dernier le site Mille-et-une-Tunisie.com publiait une série d’articles de société sur l’héritage, le port du burkini dans les zones hôtelières du pays, etc. Les réactions de certains citoyens et d’internautes allaient bon train : « Ce n’est pas le moment d’aborder ce type de sujet de société. C’est délicat. Il s’agit de préparer les élections ». Mais si nous ne sommes pas capables aujourd’hui de débattre d’égalité des genres, de planning familial, d’athéisme, de liberté d’expression, de concubinage, d’adoption ou d’homosexualité mais aussi d’éducation, d’agriculture, d’accès à l’emploi, de sécurité, etc. quand le ferons-nous ? A moins que ces premiers thèmes soient définitivement tabous dans ce pays et alors quelle politique de l’autruche ! Ne votons-nous pas prochainement pour un projet de société ? Ne s’agit-il pas de notre constitution ? Ou faut-il ménager toutes les susceptibilités du pays par peur du conflit ou par stratégie politique ?
Lorsque qu’avant-hier Nebil Karoui présente des excuses publiques pour la diffusion vendredi soir de Persépolis sur Nessma Tv , qu’hier c’est au tour du ministère du culte d’appeler au respect du sacré à propos de cette même diffusion, et que le soir à Hammamet salafistes et nahdaouis manifestent pour la même raison, il y a de quoi se poser de sérieuses questions sur la société que nous voulons pour nous et nos enfants ?
Les prêcheurs de bonne parole sont simplement des anti démocrates qui souhaitent imposer au reste de la population leur façon de penser et de vivre. La question est : souhaitons-nous construire une société plurielle et moderne ouverte sur le monde ou une société paranoïaque, fermée et de pensée unique et totalitaire ?
Pendant longtemps, trop longtemps, j’ai pensé qu’il était plus raisonnable au nom du respect culturel de l’autre de ne pas choquer, de ne pas affirmer haut et fort mes différences de pensée. Mais là s’en est trop. De quel droit une partie de la population devrait décider pour l’autre ce qu’elle doit ou non voir, sur une chaîne privée de surcroit. C’est ma liberté et le respect de ma personne qui est atteint. Personne ne force qui que ce soit à regarder son petit écran. Le principe de la pensée unique n’est plus le bienvenu et la démocratie ainsi que la liberté d’expression consiste justement à avoir le choix.
Aurélie Machghoul
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